La solitude – Transatlantique

14 avril 2016 by Julian in Journal 8 comments
La solitude – Transatlantique

La traversée vers le Brésil se joue en deux mouvements. Le premier bercé par les alizés, le second par le pot au noir. Les calmes. Les grains. La pluie. Le corps met cinq jours environ pour prendre le rythme, s’adapter, se laver de la terre. C’est vrai, la mer nous lave. Lorsqu’il ne reste plus rien, des jours durant, autour de nous, on se lave de tout ce que notre corps et notre esprit aura construit dans une vie entière d’adaptation au monde. Un retour à l’état naturel. Pur. Simple.

Quand il n’y a plus rien, que l’on n’a plus besoin de rien, on se satisfait à soi-même. On est débarrassé des envies, jalousies, illusions, faux buts et faux espoirs, faux devoirs. De la peur de l’échec, de la peur du futur, de la peur de l’inconnu.

Je n’ai pas eu peur au large. À se demander si tous ces poids qu’on se trimballe sont réellement les nôtres… Je ne suis pas le seul à faire ce constat, Moitessier en parle dans La Longue Route, Saint Exupéry dans Terre des Hommes. De cette peur qui nous hante et nous empêche. Nous façonne au point de ne même plus parfois arriver à voir que c’est elle qui dicte nos choix. Quand j’étais petit, je croyais qu’être courageux c’était être Indiana Jones ou affronter les dinosaures de Jurassic Park. Sans doute que cela a dû demander bien du courage aux acteurs, mais maintenant que je suis grand, ce n’est pas de traverser un océan qui m’a demandé du courage. Ce n’est pas d’affronter quelques jours de solitude, les éléments, la vie en autarcie. Ce qui m’a demandé le plus de courage, c’était dans l’année de mes vingt ans, de dépenser l’argent accumulé depuis toujours, ma seule possession alors que j’en gagnais peu, pour m’acheter un billet sur l’un des derniers vol du Concorde. Parcequ’il allait disparaitre, parce qu’après je ne pourrai plus jamais, parceque j’en avais tant rêvé. Cet argent aurait pu être un apport pour un appartement, une première voiture, une sécurité pour l’avenir. Et bien il n’aura été que trois heures trente de ma vie. Les plus belles. Les plus fabuleuses. Les plus merveilleuses. Car le Concorde est probablement la dernière machine née de la passion, du génie et du rêve de l’homme. Parcequ’après plus jamais l’industrie n’a prononcé « C’est impossible, alors c’est pour ça que nous allons le faire ». Parceque toute la sécurité du monde, toute la possession, tout ce qu’il aurait été raisonnable de faire de cet argent n’auraient pas valut d’empêcher un petit garçon de vivre son plus grand rêve.

Je ne suis pas courageux de traverser l’atlantique en solitaire. C’est donné à celui que se donnera la peine. Je suis courageux d’affronter les peurs qui ont voulu m’empêcher de vivre mes rêves.

Le pot au noir

À l’approche de l’équateur le vent faiblit, la mer se lisse, parfois jusqu’a devenir miroir, argentée, à peine risée. Les alizés plein de vie laissent place à la chaleur étouffante, à un désert en mer, le ciel se vide de ses nuages. Il n’y a plus d’oiseaux, plus de poissons volants, plus de champs d’algues flottantes. Curieuse sensation de trouver en plein océan un espace qui semble plus vide et vaste que… l’océan. Je suis complètement déconnecté. Chaque journée qui passe est un plaisir. Plaisir de me retrouver. De me souvenir. De m’enrichir de l’imaginaire. Ma vie allait si vite avant, elle était si remplie, si préoccupante, si stressante au point que mes yeux n’arrivaient plus qu’à voir la réalité.

Lorsqu’il ne reste que l’essentiel, que l’on n’a plus rien à faire, qu’il n’existe plus rien autour de soit, alors on fait des rencontres. Et en mer j’ai rencontré un ami, un maître. Il était pourtant à bord depuis Cherbourg; je l’avais vu, mais pas regardé. Et c’est finalement avec lui que j’aurai traversé l’atlantique.

Je suis un habitué de la solitude. Elle et moi on se connait bien, on s’apprécie, on passe toujours des moments délicieux ensemble. Notre compagnie respective nous réconforte, elle est mon plus fidèle allié. La solitude en mer ne me faisait pas peur, j’ai l’habitude. Elle n’est rien, comparée à la solitude de se sentir en décalage avec le reste du monde. De ne pas trouver de repères, de modèles.

Cet ami est né un jour avant moi, le 1er septembre 1887. Nous avons donc le même âge, l’année ne compte pas car de toute façon ici, au milieu de l’océan, le temps n’existe plus. Et il m’a réconcilié avec moi-même. Aux premiers calmes du pot au noir, j’ouvre son livre, Bourlinguer, non pas par hasard. Avant de commencer un livre, je cherche celui qui m’appelle. Et il y en a toujours un qui parle plus fort que les autres. On sent qu’il existe déjà un lien entre soi et le livre, ici dans l’instant, avant même d’avoir commencé la lecture. Ce lien n’aurait pas existé quelques jours auparavant, et disparu quelques heures plus tard.

Bourlinguer fait parti des mémoires de Blaise Cendrars. Il raconte ses voyages, sous forme de chapitres ayant chacun le nom d’un port célèbre. Cet homme a eu une vie exceptionnelle que je vous laisserais découvrir. La Prose du Transsibérien devrait suffire aux pressés. Je me suis immédiatement retrouvé en lui. Mieux, j’ai trouvé en lui celui que je tends à être. Sa sensibilité, sa finesse, sa poésie, alliée à son gout de l’aventure, de l’épicurisme, à son courage. Un bourlingueur. Un ami des peintres, écrivains, poètes. Un créatif, un essayiste, un touche à tout. Un grand amoureux des femmes, de la gastronomie, de la vie, du voyage.

Mais ce qui m’a également fasciné chez cet homme, c’est son acceptation de la solitude. Derrière sa quête identitaire permanente, il aura cherché jusqu’à la fin de ses jours qui il était, on ressent que sa liberté ne reposait que sur l’intégration parfaite de l’idée qu’il était seul.

La seconde partie de cette traversée, presque à l’arrêt dans les calmes, la chaleur, l’absence de monde, fut d’une volupté indescriptible. Chaque journée je la passais à lire Cendrars, à m’enrober de couleurs, de voyages, de poésie. J’étais en Chine, au Brésil, en Iran, en Italie. À me sentir moins seul, à regarder la vie différemment, avec mes propres yeux. A trouver l’envie d’assumer qui je suis. Je me suis caché derrière un personnage afin de me protéger. Afin de correspondre à des attentes, afin d’éviter les railleries, afin de me fondre dans une masse. De plaire.

C’est dommage que l’école ne nous apprenne pas à être différent. À avoir la force d’assumer ses idées, ses rêves, d’être seul contre tous. C’est dommage que l’on ne nous enseigne pas à être exceptionnel, ambitieux, hors du commun. Au contraire, on appelle ça de la prétention, on nous nivèle, on nous réduit. On ne nous croit pas quand on dit qu’on veut être astronaute. Il n’y a pas chef d’orchestre dans la liste des instruments proposés à l’école de musique des 6 à 8 ans.

De ma rencontre avec Blaise Cendrars, je garde en moi l’idée qu’on peut être sensible, raffiné, aimer l’art, l’opéra, la délicatesse tout en étant baroudeur, bourlingueur, se prenant des embruns dans la gueule, les mains usées par les cordages, en adorant l’ambiance des ports, des bars et des bordels. Que le monde entier est de toute façon magnifique quand on le voit avec le coeur de poésie.

De cette magnifique traversée, je garde l’idée que mon courage n’est pas d’affronter la solitude de dix jour en mer. Mais d’épouser celle qui depuis toujours est en moi.

L’arrivée

Le retour à la civilisation sera irréel. Par la beauté des paysages de Fernando de Noronha déjà, puis par la grandeur du Brésil ensuite. Par la barrière de la langue, de la culture pourtant si proche mais si différente de la notre.

Par cette idée que le premier chapitre de ma vie vient de se terminer, que j’ai toujours été seul et le resterai.

Sauf que maintenant, je suis prétentieux.

Et libre.

8 comments on this post

  1. Corinne
    14 avril 2016

    Je me sens privilégiée de pouvoir assister à cette belle (re)naissance. Avoir le coeur plein de poésie, c’est ça la vraie vie! Et vive Cendrars (ma mémoire-passoire ne me permet pas de me souvenir de ses mots, seulement du plaisir éprouvé à sa lecture) et vive la Liberté 🙂

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    • Julian
      21 avril 2016

      Et moi privilégié d’avoir pu assister à ta tentative de sédentarisation 😀

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  2. Barreri Brigitte
    15 avril 2016

    Merci Julian pour ce beau texte ,je comprends Gerald dans ses propos à ton égard ( ils sont chaleureux tu t’en doutes!)
    Continues ta belle route.
    Amitiés
    Brigitte

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  3. MILK
    18 avril 2016

    Tu dis prétentieux, je dis affirmé, égoïste, entier!

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  4. Thomas
    25 avril 2016

    Salut Julian,

    Un plaisir de te lire, un plaisir de te voir te mettre à nu sur ces pages 2.0. Un plaisir de retrouver l’enfant qui se cachait derrière l’homme….
    L’enfant rêve, l’homme agit… Content de voir que tu as fait la paix avec l’enfant que tu étais et que tu es!

    Merci pour cette vague d’émotion que tu nous transmets dans chacun de tes récits.

    Beijos!
    Billie, Sasha, Isabelle, Thomas

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    • Julian
      18 mai 2016

      Salut Thomas, merci pour ce commentaire très touchant. Au plaisir de te revoir lors d’un prochain séjour en France ! Bisous à toute la famille !

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  5. 1418 nocquet
    28 avril 2016

    Surpris de tes commentaires meme si parfois tesparents peuvent etre dans l’angoisse ils doivent etre fier de toi.Nous esperons avoir le plaisir de te revoir dans ce
    monde un peu fou et tres loin de tes reves .Nous t’embrassons terger de 1418

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  6. Paul et Dom
    23 novembre 2016

    Bonjour ! Nous nous étions croisés à Cadix alors que nous naviguions sur Abitibi, un ketch de 17 m. Maintenant c’est fait, nous somme avons trouvé notre propre bateau et nous suivrons probablement vos traces à partir de 2018. Noa est un Atlantis 400 de 12 m, alu, qui a 15 ans et qui a peu navigué jusqu’à présent. Nous naviguerons 2 fois 4 mois en méditerranée en 2017, le temps de bien connaître le bateau et de bien nous connaître aussi à bord. En attendant, merci de nous faire rêver avec vos jolis récits, qui nous parlent forcément (ne serait-ce que le choix de la route et le rythme du voyage !). Question curieuse à laquelle vous n’êtes pas obligé de répondre : qu’est devenue Roxane dans cette traversée que vous semblez avoir faite en solitaire ?

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