Les quarantièmes rugissants
Aucun doute, et pas le temps d’avoir de suspens, les 40èmes Sud sont bel et bien nommés ! Nous avons quitté le Club Nautico Vito Dumas en milieu d’après midi par beau temps, à la voile. Un départ agréable et 148 milles de moyenne le premier jour. Ça fonce, et pas besoin de beaucoup toiler ! Nous savions que nous allions croiser une dépression en chemin. L’appréhension était assez forte ; plus je téléchargeais de météos, plus cette dépression grossissait et descendait vers nous. Ce n’était pas bon signe. D’autant plus qu’en lisant les récits de navigateurs nous ayant précédés, les prévisions sont souvent optimistes et sous estiment la force des coups de vent… Notre dépression semble vouloir se stabiliser dans les prévisions à 26 nœuds établis, et 32 noeuds dans les rafales. Une première pour moi qui n’ai jamais navigué à plus de 28 nœuds avec surtout le stress de ne pas savoir jusqu’à combien tout cela pourrait bien monter…
Je me rends compte que ce qui est angoissant, ce n’est pas d’affronter le temps actuel. Quelque part c’est déjà fait puisque nous y sommes déjà. Mais de devoir anticiper les pires scénarios d’évolution de la situation en permanence, en fonction des indications à bord : météo prise une fois par jour, baromètre, observation des vagues, du ciel, des nuages, de leur forme, vitesse et direction. J’ai les yeux rivés sur le graphique de l’anémomètre qui montre l’évolution de la force du vent enregistrée à bord.
Finalement, la voilà…
Deuxième jour en mer, la dépression arrive par le Nord Ouest, la fête va commencer ! Nous sommes à 41 degrés de latitude Sud, et ça siffle déjà dans le gréement. Le vent passe rapidement de 12 à 22 noeuds, puis plus tard à 28… puis 30 et se stabilise à 30. Nos prévisions semblent bonnes, mais le vent n’est vraiment pas stable. Il varie de + ou – 10 noeuds en permanence, et de bien 20 à 30 degrés de direction. Devant l’évolution de la météo qui n’était pas en notre faveur, nous avons la veille changé de cap radicalement, à 90 degrés, pour ne pas recevoir le vent de face, mais plutôt par le travers. Ce choix s’avère être le bon, car le vent entame une nouvelle montée pour se stabiliser à 35 noeuds, passant de force 7 à 8. Nous sommes peu toilé, Trinquette à 1 ris et grand voile à 3 ris, une première ! Cela ne nous empêche pas de foncer, nous qui avançons en moyenne à 5 noeuds, nous voici à 7 voire 8 nœuds, déboulant dans les vagues. La mer n’arrête pas de grossir, il souffle maintenant fort depuis plusieurs heures, laissant le temps au vagues de prendre de la hauteur.
Ce qui me frappe le plus, c’est le grondement du vent dans le gréement. Je n’avais jamais entendu tel bruit. C’est véritablement un rugissement. A 20 noeuds, le vent siffle, à 30 nœuds, il gronde. Par le passé, la seule fois où l’anémomètre avait enregistré plus de 30 noeuds c’était au Cap Vert, à Mindelo, mais au port. Je découvre ici que 30 noeuds d’air chaud ne valent pas 30 noeuds d’air froid. Ce dernier étant plus lourd, plus dense, il appuie plus fort sur les voiles et la différence se ressent vraiment.
Dehors, le paysage est magnifique. La mer est vraiment grosse, le ciel est gris, le vent emporte les embruns. Les vagues sont énormes, probablement 5 ou 6 mètres. Prises par le travers, elles déferlent parfois et recouvrent le bateau. Spectacle magnifique. Impossible de prendre des photos. Dehors ça souffle vraiment, tout est trempé, ça glisse, mais surtout impossible de se détacher de l’instant présent, comme fasciné. Nous restons à l’intérieur du bateau. Voir ces vagues s’écraser sur le pont et ruisseler sur tous les hublots et panneaux est réellement hypnotisant. Là c’est sûr, le pont sera bien propre en arrivant, fini la poussière accumulée à Quequen !
Puis elle repart…
Le meilleur moment est lorsque le vent commence à baisser. Lentement, très lentement, qui annonce que le pire est passé. La montée aura durée douze heure. Un changement de 35 à 33 noeuds est significatif, les conditions restent quasiment les mêmes, mais la pression redescend et je peux savourer le moment pleinement. Le bateau est incroyablement sécurisant, la vitesse le stabilise et nous sentons à peine les vagues. Abstraction faite du grondement du vent, une fois à l’intérieur on se croirait au près dans 15 noeuds de vent ! Certes, nous sommes bien penchés, ça remue, chaque action à bord est une épreuve : boire, grignoter, aller aux toilettes ; on est même resté plusieurs heures sans manger, dans l’incapacité d’ouvrir un placard pour prendre des biscuits !
Le vent continue de baisser, puis passe sous la barre des 20 noeuds, qui me semblent maintenant une légère brise d’été. Les ris sont lâchés au fur et à mesure, et nous retrouvons la capacité de nous faire à manger, de nous déplacer, de nous occuper.
Il nous reste encore une journée de navigation avant d’atteindre notre abri. Nous ne savons pas encore si nous irons à Santa Elena, Caleta Sara ou Caleta Horno un peu plus bas. Les prévisions sont bonnes pour ce dernier jour, qui devrait bien se dérouler. Finalement, les prévisions aurons été justes, à 2 petits noeuds près, et la dépression se sera heureusement arrêtée de grossir. A Quequen, il était annoncé 50 noeuds…
Face aux éléments
Rarement je me suis senti aussi fier d’avoir accompli quelque chose. C’est indescriptible. On pourrait dire « de s’être battu contre les éléments », mais ce n’est pas du tout ça. J’ai eu des réussites dans mon passé, des évènements qui m’ont apporté mérite ou fierté, mais l’humilité d’avoir pu mener bateau et équipage à bon port à travers un coup de vent, est un sentiment bien différent de ce que j’ai pu connaitre. Ce n’est pas un combat, on est bien trop petit et insignifiant pour cela. Je pense que c’est se contenter de plier pour ne pas casser. La bataille, elle, n’est pas contre les éléments, mais contre les nerfs ! Quelle sensation incroyable lorsque les nuages se dissipent, la mer se calme et le soleil timidement réapparaît… quel honneur d’avoir pu traverser. Ce que je ressens, c’est une osmose avec les éléments, qui m’ont accepté en leur monde. Quelle sensation d’espace, de grandeur et d’infini…
Les 40èmes rugissants n’ont donc pas oublié de venir nous souhaiter la bienvenue, j’en suis flatté. Ils se sont contentés de rugir, j’ai apprécié le savoir vivre du geste.
jurado
12 mars 2017CHAMPION DU MONNNNNNDEEEEEEEUUUU !
Quelle Nouvelle Aventure et Expérience!
Merci de les partager avec nous.
Bizzzzzzzzzzzz
Den
Corinne
5 avril 2017Bravo, du fond du coeur! Je te suis toujours un peu en pensées, je me projette beaucoup dans ton aventure, c’est comme si tu mettais des mots sur mon futur (encore loin, mais on y va)!